Chronique

Tahar Djaout : Le poète exproprié

Victime d’un attentat organisé par le Front islamique du salut, le 26 mai 1993 nous quittait à jamais Tahar Djaout, journaliste talentueux et écrivain de renom. Il faisait terriblement peur par ses vertus tant morales qu’intellectuelles aux apocryphes musulmans, prêcheurs de la barbarie et de la médiocrité.

Invincible derrière sa plume virulente, Tahar Djaout s’est engagé dans l’arène des débats progressistes, en opposant fermement l’intelligence à l’ignorance, la lumière aux ténèbres et la bravoure à la pusillanimité. Très jeune, il arpente avec argutie les sentiers du savoir en ayant comme viatique sa culture maternelle, celle de ses ancêtres. Soucieux de titiller les consciences assoupies et d’attiser l’insurrection de l’intelligence – tant marginalisée – il aiguise avec sollicitude, et tel un véritable faiseur de mots, ses expressions dont l’impact est considérable.

Remarquable poète au grand cœur et à l’esprit alerte, il use des tournures d’une finesse exquise. Les mots se côtoient, se supplantent et se conjuguent à tous les temps de l’espérance avant de produire par la force du sens et de l’imaginaire des textes croustillants.

Il cultive, à l’instar de Feraoun et de Mammeri, la modestie dans un monde schizophrène avivé de prétention et d’égocentrisme.

Il prodigue sans parcimonie des lueurs d’espoir par son inamovible sourire ; timide certes mais rayonnant, voire rassurant. Journaliste prestigieux, il défend avec acharnement la liberté d’expression, la véritable démocratie, celle qui garantit le respect des droits de l’Homme, l’émancipation de la femme, l’ouverture sur les valeurs universelles en préservant ses propres caractéristiques identitaires et personnelles.

Trahi par sa naïveté et par sa mansuétude, un beau matin de printemps, Tahar Djaout tombe sous les balles des ignares lesquels s’arrogent le droit de vie et de mort. Ce jour-là, la bêtise et la haine se sont lâchement concertées pour commettre l’abominable crime sur l’un des meilleurs fils de l’Algérie désormais à vau-l’eau.

Né en janvier 1954 à Oulkhou près d’Azzefoun, Tahar Djaout quitte son village pour la capitale où il poursuit des études primaires et secondaires.
Après l’obtention à l’université d’Alger d’une double licence en mathématiques et en sciences de l’information et de la communication, il embrasse le métier de journaliste. Il signe ses premiers articles dès 1976 à Algérie Actualité et parallèlement sous le pseudonyme de Tayeb. S à Actualité de l’émigration. En 1993, il dirige avec Djaâd-Metref, l’hebdomadaire Ruptures dans lequel il commet de très belles chroniques. Son talent et sa verve poétiques se sont en réalité distingués dès sa première nouvelle Les Soumis (1970) dans laquelle il exprime ses idées et sa vision du monde.

L’Exproprié (1981) est une somme, disait-il, de réflexions gravées comme des cicatrices. Ce roman est empreint d’une écriture éclatée et d’une prose parsemée de symboles.

Les Chercheurs d’os (1984) réserve à Djaout une notoriété certaine. Il définit ce roman comme une œuvre solaire, ouverte sur la mer, sur les paysages féériques. Il y pose sans ambages le problème identitaire. L’histoire parle, en effet, des villageois qui se sont mis au lendemain de l’indépendance à la recherche des os de leurs morts dispersés à travers le pays. L’Invention du désert (1987) est un long texte poétique relatant l’histoire des Almoravides.

Djaout atteint la renommée méritée avec Les Vigiles (1991). Il dépeint dans une écriture linéaire à la manière de Balzac, les déboires et les vicissitudes de la société algérienne. Ce roman est le plus proche de la réalité immédiate, il bouscule les esprits dans un contexte politique et social extrêmement crucial.

Le Dernier été de la raison (1999), terminé la veille de son assassinat et publié aux éditions Le Seuil, évoque la situation de l’Algérie mutilée par l’intégrisme islamiste et l’incompétence des caciques du pouvoir.

Incontestablement, Tahar Djaout demeurera l’un des meilleurs écrivains et journalistes de l’Algérie indépendante.

« Quand bien même ils éradiqueraient d’innombrables étoiles », chantait Matoub, « le firmament, lui, ne s’en appauvrira jamais ».

En effet, même disparu, l’idéal de Djaout n’est pas mort et sa famille continuera, en dépit de la lâcheté des uns et des supputations perfides des autres à avancer et à lutter pour que son Algérie triomphe sur la barbarie, l’ignorance, le clientélisme…

Farid Bouhanik, 26 mai 2014

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